Paru dans Les Echos – Janvier 2021

Qu’ils interviennent dans le cadre d’un renfort, d’une situation de crise ou d’un soutien aux équipes en place pour passer un cap difficile, les managers de transition se posent en levier pour relancer l’organisation.

Alors que la crise sanitaire et économique due au Covid-19 fait rage dans le secteur du tourisme , Pierre & Vacances Center Parcs vient de se trouver un nouveau directeur général. Agé de 44 ans et féru de numérique, Franck Gervais, ex-patron Europe d’Accor, remplace ainsi Yann Caillère, un proche de Gérard Brémond, le président-fondateur du numéro un européen des résidences de loisirs, qui l’avait chargé, dès septembre 2019, d’élaborer le plan de transformation du groupe. Une mission à durée limitée pour les besoins de laquelle Yann Caillière a fait appel à des managers de transition du cabinet Valtus.

Comme Pierre & Vacances Center Parcs, des entreprises, en situation délicate ou de crise, découvrent l’utilité opérationnelle du management de transition . Les missions de mandataire social, certes, se multiplient mais ne sont pas les plus nombreuses, la plupart des managers de transition sont appelés pour remplacer, au pied levé, des cadres dirigeants rendus indisponibles ou bien aider une entreprise à passer un cap difficile. C’est, ici, un directeur financier à qui un équipementier automobile demande de piloter sa trésorerie à l’échelle du groupe ; là, une directrice des ressources humaines(DRH) qui se voit chargée de clore un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) ; là encore, un directeur des systèmes d’information (DSI) dont la mission est d’informatiser tout un entrepôt ou un pro de la supply chain – fonction on ne peut plus stratégique depuis le Covid – qui a celle de reconfigurer tout un processus d’approvisionnement ; ou encore, un super directeur comptable à vite impliquer dans une opération de «carve out». Autant de situations pour lesquelles des professionnels expérimentés, bons animateurs d’équipes et à leur affaire dans l’incertitude sont en moyenne mobilisés 7 mois.

Attentisme des entreprises «Plus de 50% de nos missions portent sur de la transformation et de la conduite de projets, contre 15 à 20% il y a 5 ans », observe Thierry Grimaux, associé de Valtus, le leader européen du secteur. Pour que le management de transition lui soit utile, l’entreprise doit être en mesure d’identifier avec précision son problème urgent et épineux. Dans son rôle d’apporteur de solutions, face aux objectifs qu’on lui assigne, le manager de transition apprécie de se rendre au plus vite sur le terrain pour amorcer une phase de rencontres. «C’est primordial d’évaluer sur place un site industriel et d’en sentir l’ambiance de travail », estime Thierry Grimaux. Mais, la crise sanitaire et la distanciation physique compliquent les choses.

Peu de missions débutées avant le Covid ont été annulées, certaines d’entre elles ont même été prolongées, mais le nombre de nouveaux contrats reste limité en raison de l’attentisme des entreprises compte tenu des incertitudes liées à la crise. Si la fédération France Transition a constaté une baisse d’activité de 20% à 25 % en 2020, elle table sur une reprise dès cette année, «dans la mesure où beaucoup d’entreprises en France, encore sous assistance des dispositifs déployés par le gouvernement, vont devoir mener des projets de transformation qui seront structurels pour certains.» En ce moment, ce sont surtout les secteurs de l’agroalimentaire, de la pharmacie et les fonds de private equity qui font le plus appel aux managers de transition. Patrick Abadie, président fondateur de Delville Management, note d’ailleurs « quelques frémissements » depuis«une mission, démarrée après août, au sein d’une start-up qui invente l’agroalimentaire de demain et qui, soutenue par un fonds d’investissement, cherche des compétences en RH ou en marketing sans pour autant souhaiter s’engager sur le long terme ».

Solution chère mais à forte valeur ajoutée Les PME, ETI et grandes entreprises en situation d’urgence trouvent ainsi une solution certes chère – entre 140.00 et 420.000 euros sur 7 mois – mais qui inclut « l’efficacité et la forte valeur ajoutée d’un expert, situé hors des jeux politiques et des rivalités internes », souligne un professionnel intervenu pour prendre en main un site industriel en crise. Le statut particulier du manager de transition au sein de l’entreprise cliente lui donnerait, assurent plusieurs sources, toute légitimité pour, avec son regard neuf et externe ainsi qu’une certaine forme de liberté, aisément pouvoir mobiliser les équipes et bousculer le statu quo.

Né en France en 1990, le marché du management de transition a cru de 13,4% par an en moyenne à partir de 2016, pour atteindre 440 millions d’euros (330 millions en 2016), rappelle France Transition. Les 90 acteurs du secteur, voire quelques 120 si on ajoute les non-adhérents à la fédération, se font aussi connaître en produisant quantité d’études, baromètres, ouvrages ( «Les métamorphoses du leadership» pour Valtus) ou fascicules ( «Le guide du retournement», pour 400 Partners), en créant des clubs et ateliers, ainsi qu’en organisant nombre de webinaires et conférences. Valtus, numéro un, et Delville Management, deuxième, dominent un groupe de 10 multispécialistes (65% de l’activité en 2019, contre 57% en 2016). En l’absence de classement officiel, ont notamment été cités, pour les besoins de cette enquête, des intervenants tels que X-PM, EIM, Robert Walters ainsi que Nim, 400 Partners, Procadres International, IMT Partners ou encore Wayden. D’autres acteurs, cette fois spécialisés comme Réseau 137 de Raymond Soubie , se focalisent sur le social ou, tel Atorus Executives, sur le juridique. «Il y a quelque 17.000 juristes en France, j’en ai rencontré 5.000 et placé 500 comme contract managers par exemple, ou à des postes à géométrie variable (RH, compliance) au sein d’entreprises qui, en temps ordinaire, n’utiliseraient pas de juristes», avance la fondatrice, l’ex-avocate Marie Hombrouck. Créé à l’automne dernier, le cabinet Juste, fondé par deux ex-dircom , s’adresse, quant à lui, à des entreprises et fonds d’investissement confrontés à des enjeux de réputation. « Leurs besoins ponctuels d’expertises très pointues portent sur des problématiques de marque, de RSE ou encore des dispositifs de communication financière, interne ou de crise», détaillent ses fondateurs, Louise Beveridge et Benoît Cornu.

Ni conseil ni intérim, ni chasse de têtes

Les organisations en situation d’urgence ont donc l’embarras du choix. «Comme chez Amazon, le client vient à nous avec trois critères précis : il veut du choix, s’assurer que le manager est disponible et qu’il est prêt à le rejoindre demain», résume Bruno Calbry, directeur général et fondateur de 400 Partners. Mais pour n’être ni déçues ni s’égarer, les entreprises doivent toutefois bien garder en tête que le management de transition n’est ni de la chasse de têtes ni du conseil et encore moins de l’intérim traditionnel. Plus opérationnel que du consulting, d’un niveau bien supérieur à du classique intérim, il se veut plus flexible qu’un recrutement en contrat à durée indéterminée (CDI), qu’il ne met a priori pas en danger, étant réservé aux situations sensibles. A la différence des chasseurs de têtes , les cabinets de management de transition agissent vite et peuvent mobiliser, en deux à trois jours, un professionnel surdimensionné pour une mission donnée. Cet oiseau rare se voit parfois proposer, en fin de mission, un CDI. «Cela a été le cas pour environ 20% d’entre eux fin 2020, un taux beaucoup plus important que les années précédentes», observe Thierry Grimaux. Des entreprises n’hésitent pas non plus parfois à détourner la finalité du management de transition en considérant la mission comme une pré-embauche. C’est, pour elles, une manière de tester quelqu’un sans se compromettre et sans assumer l’échec d’un recrutement si la greffe ne prend. Mais encore faut-il que le manager de transition veuille d’un CDI ! « Selon une étude menée par Delville Management, 3 sur 4 le refusent », avertit Patrick Abadie. C’est le cas de ce secrétaire général de transition : «Je suis attaché à ma liberté et à une forte sensation d’utilité », martèle-t-il. «Il reste que la crise sanitaire et économique, qui rend les dirigeants attentistes, est préoccupante… Mais nécessairement, contexte oblige, de nouvelles missions structurantes vont arriver en plus grand nombre», se rassure-t-il. Le métier – qui comprend des cadres en fin de carrière comme des quadras et quinquas soucieux de maîtriser leur agenda – a rajeuni et s’est féminisé.Fonctionnant en mode projet, le ou la manager de transition apprécie de disposer d’une vraie feuille de route. Il lui arrive même de participer au recrutement en CDI de son successeur.

Muriel Jasor

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